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Le blog de la refaunation
29 juillet 2023

ETHIOPIE - Par-delà le covid et la guerre, un modèle de conservation résilient

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La résilience des systèmes de conservation de la nature est parfois durement mise à l'épreuve lors de circonstances extrêmes qui imposent de faire faire passer la biodiversité après d'autres intérêts plus pressants.

Il est pourtant des cas, qui méritent d'être connus et étudiés davantage en tant que modèles à suivre, au-delà de leur caractère étonnant, où ces systèmes parviennent à résister en dépit des pressions immenses qui peuvent s'abattre : j'avais parlé de l'Ukraine en début d'année, mais on peut également citer la protection des Gorilles de montagne dans la région des Grands Lacs africains (qui s'est poursuivie durant les années les plus tragiques de la guerre civile rwandaise et lors des troubles persistants dans l'Est du Congo-Kinshasa) ou encore celle des forêts de Cèdres du Liban, assurée par des réfugiés syriens depuis une quinzaine d'années.

Un autre cas de figure à mentionner est celui de l'Ethiopie, où le système traditionnel de protection des ressources naturelles à l'oeuvre dans les plateaux Guassa (connu depuis 400 ans, tout de même...) a résisté au double coup du covid-19 et de la guerre du Tigré.

Ces plateaux herbeux qui s'étendent sur 11.000 ha, zone tempérée de montagne unique en Afrique, sont l'habitat d'un grand nombre d'espèces comme le Loup d'Abyssinie Canis simensis (classé "espèce en danger") qui est sans doute le canidé le plus menacé de la planète avec une population d'environ 200 animaux matures, et le Babouin Gélada Theropithecus gelada, étrange primate à la crinière de lion et adapté à la vie en altitude. La ressource de base est l'herbe Guassa ou Fétuque (Festuca sp.) pour les animaux comme pour les humains (on l'utilise pour couvrir des toits, fabriquer des cordes et des vêtements, nourrir le bétail ou bien comme combustible pour le chauffage).

Le secteur est protégé avec succès depuis 4 siècles avec le système de gestion des terres qero, un des rares apports "modernes" étant l'introduction de l'écotourisme comme source de revenus, et comme remède à la cueillette excessive de l'herbe Guassa (une "faille" du système traditionnel, dans un contexte d'augmentation de la population et de rareté des opportunités économiques).

La crise du covid a mis un coup d'arrêt brutal aux projets écotouristiques, et a causé un nouvel accroissement de la cueillette illégale de l'herbe Guassa.

Toutefois, le système de gouvernance et la puissance des traditions culturelles et politiques de la région ont mis fin au ramassage illégal de l'herbe, qui a pu repousser en l'espace de 6 mois.

La guerre du Tigré qui s'est déclarée peu après a frappé le système de protection des plateaux Guassa, de manière indirecte (dommages économiques et sociaux) mais aussi directe (puisqu'ils ont été un champ de bataille, le nombre de morts dus à la guerre n'étant pas rendu public à ce jour...). Les hostilités ont pris fin suite à un cessez-le-feu conclu le 2 novembre 2022 entre le gouvernement et les rebelles, mais la crainte de dommages à l'environnement persistants après la fin de la guerre était réelle.

1.000 ha de prairies ont brûlé durant les combats en novembre 2021, mais les dommages ont été moins graves que prévus, les herbages repoussant rapidement et étant à leur tour utilisés par la faune y compris le Loup d'Abyssinie, espèce la plus fragile du site.

La limitation des dommages peut être attribuée aux habitants de la communauté, qui ont participé à éteindre l'incendie au péril de leur vie ; et aussi à la place de la nature dans le système traditionnel de protection des plateaux Guassa.

La résilience du système qero par delà d'aussi terribles épreuves est un motif de fierté pour les habitants des plateaux Guassa.

Depuis, les projets écotouristiques ont repris ; d'autres projets de revenus complémentaires (location de chevaux, cuisine, visites guidées, etc...) sont envisagés pour offrir des débouchés économiques aux habitants (et donc éviter des emprises sur les espaces protégés).

Des risques pour la préservation de l'environnement (bien que résultant de circonstances moins catastrophiques que les événements des années 2020-22) demeurent, comme un projet de route qui traverserait les plateaux (destruction de biotope, risques de dérangement de la faune et de collision avec les véhicules).

Mais selon les spécialistes présents sur place, la réactivité des communautés locales aux périls qui ont menacé les plateaux est aussi le gage d'une résilience aux dangers et risques futurs, ce qui fait du système de protection des plateaux Guassa une expérience (au sens de "expérimenté") prometteuse pour l'avenir.

Par exemple l'argent versé par le gouvernement à titre de compensation financière du projet de route a été réinvesti pour des projets de conservation comme une pépinière de plantes natives (Génévriers d'Afrique Juniperus procera).

Selon ces mêmes spécialistes, la persistance de ces modes de protection traditionnels doit être préférée à celle de dispositifs plus contraignants comme la création d'un parc national (qui aurait pour conséquence d'interdire l'utilisation des ressources naturelles aux locaux, d'alimenter les prélèvements illégaux de faune et de flore, et d'attiser des attitudes négatives envers le parc).

Source : https://news.mongabay.com/2023/07/tested-by-covid-and-war-an-indigenous-conservation-system-in-ethiopia-prevails/

Illustration : Babouin gélada sur les hauts plateaux éthiopiens. Photo Kolumbusjogger / Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0.

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